La charité, témoignage de la vie de ressuscités
La charité à la source de la solidarité
Depuis quelques décennies, de nombreux chrétiens et responsables de services caritatifs de l’Eglise préfèrent utiliser le terme solidarité à celui de charité qui a pris une connotation paternaliste.
Mais plutôt que d’écarter ce terme, ne faudrait-il pas en redécouvrir sa richesse ?
Les philosophes grecs de l’Antiquité opposaient l’amour lié à l’affection appelé eros et l’amour lié à la volonté appelé agapè, traduit par caritas en latin, d’où le terme charité.
Quant à la tradition biblique, elle articule ces deux réalités de l’amour et affirme leur origine commune en Dieu. Dans son encyclique Dieu est amour, le Pape Benoît XVI va jusqu’à affirmer qu’en Dieu, eros et agapè sont parfaitement unis : sa passion pour l’homme n’enferme pas, mais attend une réponse libre (cf. 1ère partie : l’unité de l’amour dans la création et dans l’Histoire du salut).
Source de tout amour, Dieu peut ainsi purifier et transformer un amour trop charnel en un amour capable de s’engager envers le prochain et de frayer un chemin de respect et de vie.
La charité comme un service humble et quotidien
La veille de sa mort, Jésus a remis à ses disciples, avec le sacrement de l’eucharistie, le geste du lavement des pieds : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les uns aux autres » (Jn13,14). La communion au Christ, mort et ressuscité passe par le lavement des pieds les uns des autres. Geste d’hospitalité effectué par les esclaves, il signifie le service humble et quotidien.
Les chrétiens ont sans cesse à redécouvrir cette attention les uns aux autres en paroisse et dans leurs différents lieux de vie
Récemment un curé me partageait sa souffrance de voir des personnes se côtoyer durant des mois et des années dans les célébrations sans se connaître. La charité du Christ se mesure pourtant à notre attention aux plus proches et à la qualité de nos relations interpersonnelles. Dans la parabole du bon samaritain, Jésus pose une question concrète : « De qui te fais-tu le prochain ? » (Lc 10). Jésus l’enseigne et en donne l’exemple : du début de son ministère au milieu des foules et jusque sur la croix aux côtés des malfaiteurs, il se laisse toucher par les situations humaines les plus diverses et redonne à chaque personne rencontrée sa dignité d’homme et de fils de Dieu.
La charité, un don et une mission du Christ ressuscité
Eclairé par l’évangile du Christ et soutenu par son Esprit de charité, le baptisé est appelé à se rendre solidaire de tous les hommes et à servir tout homme.
Les structures caritatives propres à l’Eglise lui permettent de témoigner plus explicitement de son attachement au Christ qui a sauvé le monde par son amour. En témoigner, c’est respecter les personnes aidées qui ont le droit de savoir à qui nous appartenons et d’accéder à leur tour à la vie du Christ ressuscité.
En mars dernier quand les médias ont évoqué le dixième anniversaire du déclenchement de la guerre en Irak et en Syrie et l’établissement d’un Etat islamique, je pensais au Père Jacques Mourad[1], prêtre de l’Eglise syriaque-catholique. Il avait en charge la communauté de Qaryatayn, non loin de Palmyre, où j’ai participé aux célébrations de Pâques en 2010.
Le Père Jacques a été enlevé par des hommes du groupe État islamique en mai 2015 et a connu une captivité très éprouvante. Cinq mois plus tard, il a pu s’échapper grâce au soutien de quelques jeunes musulmans. Ils voulaient lui témoigner leur reconnaissance pour l’aide qui venait en temps de paix des chrétiens d’Occident et qu’il distribuait à tout nécessiteux, sans distinction de religion.
L’engagement du Père Mourad et des chrétiens persécutés pour leur foi, est un appel pressant à vivre de la charité du Christ à temps et à contretemps. Une maxime de saint Ignace de Loyola peut nous aider à y répondre d’une manière concrète : « Agis comme si tout dépendait de toi, en sachant qu’en réalité tout dépend de Dieu »[2].
Avril 2021
+ Vincent DOLLMANN
Archevêque de Cambrai