Au cœur de la crise, retrouver la dignité du travail
Le contexte actuel de la pandémie de coronavirus suscite de nombreux débats sur le système économique, les rapports mondiaux et l’écologie. Comme citoyens, nous avons à participer à ces débats et comme chrétiens, nous sommes appelés à témoigner de la proximité du Christ à toutes les réalités humaines et à rendre compte des repères qu’il nous a laissés.
Dès les débuts de l’industrialisation au 19ème siècle, des ouvriers n’hésitaient pas à réagir contre la dureté des conditions de travail. Les négociations se sont malheureusement souvent déroulées sur fond de violence. Notre région garde en mémoire le drame de la fusillade de Fourmies le 1er mai 1891. La même année à quelques jours près, le Pape Léon XIII publia l’encyclique Rerum Novarum dans laquelle il rappelait que chaque ouvrier est une personne et que le travail est l’expression de cette dignité. Le Pape renvoyait dos à dos les positions extrêmes du marxisme et du capitalisme qui réduisent l’ouvrier à un instrument et l’économie à l’accroissement de biens matériels.
Depuis Léon XIII, chaque pape, en fonction des contextes et des défis de son époque, avait abordé les réalités du travail et de l’économie, à la lumière de l’évangile.
En évoquant à grand trait l’enseignement des papes sur le travail de l’homme et le développement économique, nous sommes amenés à rendre grâce pour l’engagement social de tant de chrétiens d’une manière individuelle ou communautaire. Pensons aux congrégations apostoliques, aux instituts séculiers et aux instances caritatives de l’Eglise. Bien des mouvements et cercles de formation s’en inspirent.
En ce contexte de crise sanitaire et économique, nous avons à renouer avec les repères de la doctrine sociale de l’Eglise. Nous pouvons en approfondir la connaissance avec les documents récents des Papes Benoit XVI et François, mais aussi avec le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, remarquable synthèse publiée en 2005 par le Conseil Pontifical Justice et Paix. (Voir encadré).
Le Livre de l’Apocalypse décrit la réalité paradisiaque au bout de l’Histoire non pas comme un jardin, mais comme une cité, « la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel, d’auprès de Dieu » (21,2). Dans le don de la vie éternelle que Dieu veut offrir à l’humanité, nous avons notre part de responsabilité et d’engagement. Dieu purifie et transfigure ce que nous avons cherché à bâtir sur cette terre par notre travail accompli dans l’Esprit de charité.
+ Vincent DOLLMANN
Archevêque de Cambrai
On consultera avec profit le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (1).
Après Léon XIII, Pie XI dans Quadragesimo anno, en 1931, développait la notion de subsidiarité. Il faut reconnaître à chaque échelon d’une société, une liberté d’initiative et à l’Etat un rôle de régulateur
Avec Pie XII, Jean XXIII et Paul VI, les préoccupations étaient centrées sur les questions de la paix et du développement au niveau mondial. Dans l’Encyclique Pacem in terris en 1963, Jean XXIII souligne : « Tous les individus et tous les corps intermédiaires sont tenus de concourir, chacun dans sa sphère, au bien de l'ensemble » (n. 53).
Jean-Paul II avait vécu comme jeune la condition ouvrière, dans une carrière de pierre. Il développait une spiritualité du travail. Dans la « Lettre apostolique Laborem exercens », il voit le travail comme une « participation à l'œuvre du Créateur ». Méditant sur l’effort et la peine liés au travail, il établit un lien avec la croix et la résurrection du Christ. Il invite à voir dans la peine et l’effort une « possibilité de participer dans l'amour à l'œuvre que le Christ est venu accomplir » (n°.27).
Le Pape Benoit XVI, dans Caritas in veritate en 2009, reprend l’enseignement de ses prédécesseurs à la lumière de la charité du Christ. Le programme de l’Eglise est celui du Christ : « un cœur (qui) voit où l’amour est nécessaire et agit en conséquence » (n.31). La mission des baptisés, individuellement ou collectivement, doit intégrer les repères de l’immédiateté, de la gratuité et de l’universalité.
Le Pape François dans Laudato Si, - pas encore intégrée dans le Compendium - souligne l’urgence d’une écologie intégrale liée à l’activité économique et à la justice sociale. Cette écologie doit être capable de placer la personne humaine au centre et de veiller au développement harmonieux de sa réalité corporelle et spirituelle, individuelle et familiale. Tout est lié.
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Note (1) : Le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, compte 530 pages, dont 180 pages de références, avec table de matière détaillée et index analytique qui facilitent les recherches. Livre broché, Cerf ,25 €.