L’Eglise est sainte
Les deux professions de foi, celle des apôtres et celle de Nicée Constantinople, attribuent à l’Eglise le qualificatif de « sainte ». Avec les adjectifs « une, catholique et apostolique » dans le credo de Nicée Constantinople, « sainte » fait partie de ce qu’on appelle les notes de l’Eglise, c'est-à-dire des marques distinctives. On pourrait parler de code génétique. Ces notes sont à la fois un don de Dieu et un projet à réaliser.
Le sens du terme « saint »
La sainteté est spontanément comprise comme une perfection. On a tendance à croire que la sainteté définit des situations et des personnes qui sont meilleures
que les autres.
Dans l’Ancien-Testament, le terme « saint » désigne en fait Dieu Lui-même. Dire « Dieu » et dire « le Saint » est la même chose (Cf. Lv 19 ; Is 6,3). La sainteté est encore ce qui est de la propriété de Dieu. Est qualifié de « saint » tout ce qui est
de Dieu : la nation qu’il a choisie (Ex 19,6), les commandements (Jr 23,9), la terre promise (Sg 12,3.7)...
Dans le Nouveau-Testament, Jésus est appelé le Saint de Dieu (Mc 1,24 par l’esprit impur ; Jn 6,69 par l’apôtre Pierre). A la suite du Christ et par l’action de l’Esprit-Saint, l’Eglise est nommée « Temple de Dieu », c'est-à-dire le sanctuaire, le Saint des saints de Dieu (1 Co 3,16). Elle est également désignée par saint Pierre comme la nation sainte, le sacerdoce saint (1 P 2,5). Par le baptême, le chrétien est désigné « saint » ; cette sainteté est à la fois existentielle et éthique (1 P 1,15).
Les conséquences pour l’Eglise
Elle est sainte car œuvre de Dieu : elle peut compter sur la fidélité de Dieu, elle reçoit de l’Esprit-Saint la fidélité dans la foi (l’indéfectibilité), elle garde le lien vivant avec le Christ.
Elle est sainte car route vers Dieu. Il lui faut accepter de se purifier sans cesse ; elle ne sera sans tâche qu’à l’accomplissement des temps (Cf. LG n.8).
Il faut pouvoir tenir ensemble ces deux aspects de la sainteté : comme œuvre de Dieu, l’Eglise a une sainteté objective qui caractérise son identité. Elle existe et se construit par l’Esprit-Saint. Et comme peuple pérégrinant sur terre, l’Eglise doit veiller à éduquer ses membres à la sainteté. D’où l’importance des saints : ils rendent visibles un trait de la sainteté de Dieu.
Devenir saint, c’est le seul programme de l’Eglise
Dom Columba Marmion dans son livre Le Christ, vie de l’âme, une des grandes œuvres spirituelles du XXe siècle, écrit : « Les chrétiens des premiers âges comprenaient la doctrine que leur exposait (saint Paul) le grand apôtre ; ils comprenaient que Dieu nous a donné son Fils unique, le Christ Jésus pour qu’il soit tout pour nous... ; ils comprenaient le plan divin : Dieu a donné au Christ la plénitude de grâce pour que nous trouvions tout en lui. Ils vivaient de cette doctrine, Christus... vestra vita, et c’est pourquoi leur vie spirituelle était à la fois si simple et si féconde » (Ed. Maredsous, 1947, p. 33-34).
Saint Athanase, évêque d’Alexandrie au IVe siècle, enseignait : « Dieu s’est fait porteur de la chair pour que l’homme puisse devenir porteur de l’Esprit » (Discours sur l'incarnation du Verbe). Comme un feu, l’Esprit-Saint se donne au baptême pour introduire le croyant dans la vie éternelle, vie d’amour qui ne peut s’éteindre. Donné d’une manière nouvelle comme un souffle à la confirmation, l’Esprit entraîne sur le chemin du témoignage. Les nombreux saints ermites et moines de notre diocèse témoignent de la fécondité d’une vie qui se laisse éclairer et guider par l’Esprit de Dieu. Certains ont donné naissance à des villes comme sainte Aldegonde, fondatrice du monastère de Maubeuge au VIIe siècle ; d’autres sont devenus des relais permanents de la grâce de guérison comme saint Druon, ermite au XIIe siècle à Sebourg.
Devenir saint, c’est suivre le Christ pauvre, obéissant et chaste
La vie du Christ est caractérisée par l’unité parfaite entre sa consécration au Père et sa mission dans l’Esprit d’Amour. Le Christ ne laisse non seulement un enseignement, mais un témoignage de vie que le disciple est appelé à suivre, comme l’illustre la rencontre du Christ et de l’homme riche. Après avoir rappelé la place irremplaçable des commandements de Dieu, Jésus l’invite à un pas de plus : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel ; puis viens et suis-moi » (Mc 10,21). Il l’invite à le suivre dans l’Esprit de pauvreté. La Tradition de l’Eglise parle de conseil évangélique ; nous connaissons surtout trois, avec la pauvreté, nous avons encore la chasteté et l’obéissance. Selon le cheminement que Jésus propose à l’homme riche, les conseils évangéliques viennent comme accomplir les commandements de Dieu, les accomplir dans l’amour. Si les commandements de Dieu permettent d’écarter tout ce qui est contraire à la vie de charité du Christ, les conseils évangéliques permettent de grandir dans la charité du Christ. Ceux-ci désignent des traits caractéristiques de la personne et de la vie du Christ.
« La sainteté de l’Eglise est entretenue par les conseils évangéliques » enseigne ainsi le Concile Vatican II (Lumen Gentium, 42). Ils concernent toutes les vocations et en assurent leur fécondité.
Pour le laïc, les conseils évangéliques sont liés à ses engagements familiaux, professionnels et sociaux. Ils lui permettent de les vivre dans l’esprit du Christ et ainsi d’avancer sur le chemin de la sainteté qui est chemin de configuration et d’union au Christ. C’est en vivant ses engagements familiaux, civils etprofessionnels dans l’esprit du Christ, qu’il grandit dans l’attachement au Christ et qu’il se laisse configurer au Christ.
Pour le religieux, les conseils évangéliques prennent la forme de vœux publics et manifestent son désir de se consacrer à Dieu d’une manière totale et radicale. La chasteté se concrétise dans un engagement à un état de vie : le célibat.
La pauvreté est signifiée par le renoncement à la propriété personnelle, soit d’une manière totale, soit d’une manière partielle, selon l’usage de sa famille religieuse.
L’obéissance se vit dans une remise de sa vie entre les mains d’une communauté fraternelle et d’un supérieur.
Pour le prêtre, les conseils évangéliques sont liés étroitement à son ministère. Ils lui permettent de vivre son ministère à la manière des apôtres dans le dynamisme de la charité du Christ, et contribuent ainsi à unifier sa vie personnelle et publique.
La réponse à l’appel de Dieu, du jeune Joseph Engling: « Je veux devenir un saint »
Joseph Engling est une des figures récentes de sainteté dans notre diocèse.
Séminariste et soldat allemand, il est mort sur le champ de bataille en 1918 à 21 ans, aux abords de Cambrai. Il s’y était préparé en acceptant d’offrir sa vie pour la paix et l’évangélisation des cœurs meurtris par une guerre fratricide. L’étonnant cheminement spirituel de Joseph trouve son origine dans la note du journal spirituel commencé au Séminaire de Schönstatt en 1915 : « Je veux devenir un saint ». Quand il ouvrira un nouveau cahier en 1918 sur le front à Verdun, il ajoute « Je veux devenir un grand saint ».
Joseph apprend à être saint dans les choses ordinaires
Ce désir mobilise toute sa personne et passe à travers son devoir d’état et ses engagements. Il fait face dès l’arrivée au Collège de Schönstatt à des épreuves qui auraient pu le décourager. Son niveau scolaire est faible et il est obligé de rattraper une année. Alors qu’il a 14 ans et est de grande taille, il se retrouve avec des jeunes de 12-13 ans. Il a une difficulté de prononciation qui lui vaut des moqueries. De plus, un rachitisme infantile a laissé des traces, il a une démarche penchée qui le handicape en gymnastique et qui lui a valu une cruelle injure de la part du professeur de sport : « Espèce d’épouvantail ». Pourtant, Joseph ne décourage pas, il cherche à rebondir dans tous les domaines en s’appliquant avec courage. Il deviendra rapidement un ami apprécié. Il met en pratique l’enseignement de l’aumônier, le Père Kentenich qui invitait les élèves à accomplir les tâches ordinaires avec le souci de la perfection. « Ordinaria
extraordinarie » disait-il. Le plus grand obstacle à la voie de la sainteté, le jeune adolescent le découvrait rapidement à l’intérieur de lui-même. De caractère vif, il pouvait réagir sous le coup de la colère. Un jour tandis qu’il travaillait au jardin, un confrère lui lançait des boulettes d’argile. Furieux, Joseph ramasse une poignée d’argile humide et l’applique sur
le visage du plaisantin. Avec le soutien du P Kentenich, Joseph ne cherchait pas toujours à réprimer ce caractère vif, mais à l’orienter en vue du bien.
Joseph apprend à être un saint au cœur d’apôtre
La vie de foi, dont il était imprégné dès sa jeunesse au contact de sa famille et de la paroisse a imprégné son cœur d’enfant. A sa première communion, il entame un journal personnel où il note la résolution encouragée par sa mère : « Demander
à l’Esprit-Saint, avant chaque leçon de catéchisme, de pouvoir suivre les explications avec attention ». Son attachement à la messe sera tellement fort qu’il y participe chaque jour et ne cessera de vouloir y entraîner toute sa famille.
Comme adolescent, Joseph va s’ouvrir au désir d’être prêtre. La famille ne pouvait pas lui payer d’études, mais voici qu’à la fin de mai 1912, alors qu’il avait prié la Vierge Marie à cette intention, la revue des Pères Pallotins Etoile d’Afrique à laquelle est abonnée la famille, parle du Collège Schönstatt ouvert à tout jeune qui porte le souci d’être prêtre missionnaire. Joseph sollicite immédiatement son curé pour l’aider à entrer à Schönstatt.
Une fois membre de la Congrégation mariale de Schönstatt, Joseph va naturellement orienter son désir de sainteté vers l’apostolat. Il apprend d’abord à le vivre par le témoignage de sa vie : très en phase avec l’enseignement du P. Kentenich, Joseph va laisser se déployer en lui toutes les forces de progression et d’élévation, tout ce qui magnifie la vie selon le plan de Dieu, et cela dans tous les domaines, intellectuels, artistiques et physiques. Joseph découvre la force de l’exemplarité et l’exercice des responsabilités, non pas comme un pouvoir qui écrase, mais comme une autorité qui cherche à faire grandir les personnes. Dès la première année, Joseph deviendra délégué de classe à la place d’un jeune doué
qui s’est laissé entraîner à fumer en cachette avec ses confrères. Joseph saura rapidement substituer au rappel à l’ordre sonore, celui d’un simple geste de l’index.
Sur le front, dans les derniers mois de la guerre où le ravitaillement devient rare, ce sens du témoignage sera tellement ancré en lui qu’il s’interdit tout vol de nourriture, alors que cela devient presque un acte de survie.
A côté du témoignage, Joseph entrevoit lentement l’urgence d’un apostolat explicite, notamment dans le milieu militaire. Pour cela, il lit beaucoup et dans des domaines très variés. Il ira jusqu’à apprendre le français pour mieux connaître
le peuple et le pays où il a été envoyé pour combattre.
Dans ses résolutions à Pâques 1918, il écrit : « Je veux utiliser toute occasion d’apostolat par la parole [...] Cinq fois par jour, je dirai ouvertement mon opinion, même dans des choses insignifiantes. But : développer la conscience personnelle
et combattre le faux respect humain ».
Joseph et ses compagnons vont à un moment franchir le pas pour proposer leur expérience spirituelle à d’autres soldats qui n’ont pas étudié à Schönstatt. Ils n’hésitent pas à utiliser les moyens de communication à leur disposition. Un journal va être lancé qui met en lien les membres incorporés dans l’armée et ceux qui étudiaient à Schönstatt. De même, une brochure va être destinée aux soldats intéressés par la spiritualité. Intitulée « Apostolat laïc en temps de guerre », elle sera publiée à 20 mille exemplaires.
Par le baptême, nous avons reçu pleinement l’Esprit-Saint, l’Esprit de sainteté que le Christ a pleinement accueilli dans sa vie d’homme et a transmis à son Eglise à la Pentecôte, après sa mort et sa résurrection. Puissions-nous l’accueillir et nous laisser entraîner dans le désir de grandir en sainteté avec le soutien de la Vierge Marie et de tous les saints.