L’engagement auprès des personnes pauvres ou fragiles est ancré dans la tradition du diocèse de Cambrai
Dans le Rapport quinquennal envoyé au Pape en janvier 2019 en vue de la visite ad limina que j’ai effectuée en septembre dernier, j’écrivais en introduction sur le rapport aux autorités civiles du territoire :
« Si les évêques de Cambrai étaient en même temps princes d’empire durant des siècles, nombreux d’entre eux ont laissé le témoignage de pasteurs soucieux de leur peuple, comme Mgr François de la Motte Fénelon qui par sa culture et sa piété a donné à Cambrai un rayonnement européen. Mes prédécesseurs immédiats, Mgr Jacques Delaporte et Mgr François Garnier ont su chacun répondre aux défis de leur époque, Mgr Delaporte par son attention à la justice sociale dans le contexte du chômage après la crise de la sidérurgie et du textile et Mgr Garnier par son attention à la proximité avec les pauvres et à la fraternité. Ces figures d’évêques ont grandement favorisé le rapprochement et la collaboration entre l’Eglise et les instances civiles notamment dans le domaine social ».
En conclusion du Rapport, j’indiquais l’engagement ferme auprès des pauvres comme une des priorités :
« La générosité en temps et en argent est impressionnante de la part des habitants du diocèse. Il y a peu de chrétiens qui ne participent pas à une action ponctuelle au profit des pauvres de la région et au loin, notamment en Afrique.
L’intuition de Diakonia 2013 lancée par les évêques de France qui prend en compte la participation active des personnes aidées a été bien reçue dans le diocèse. Par sa configuration sociologique, les structures ecclésiales comptent une présence significative de personnes en situation de pauvreté et d’handicap. La chorale les Ptits bonheurs qui regroupe des personnes en grande précarité est une des réalisations emblématiques. Cependant, l’articulation entre l’engagement caritatif et la vie de prière demeure un réel défi, au sein même des structures d’Eglise ».
J’y ajoutais, comme cela venait d’être approfondi à la dernière Assemblée des évêques à Lourdes, que l’engagement auprès des pauvres était étroitement lié à l’engagement pour la sauvegarde de la création :
« Le réseau Laudato Si a été lancé au printemps 2018 pour fédérer et enrichir les initiatives en faveur de la sauvegarde de la création. Il soutient par exemple les paroisses à obtenir le label église verte, initié par les Eglises chrétiennes en France en 2017. Il est encourageant de savoir que celle qui a obtenu ce label est la paroisse de Denain, une des villes les plus pauvres de France. J’encourage les membres de ce réseau à mettre en oeuvre tous les partenariats possibles. C’est une occasion de se laisser interpeler par les personnes, en majorité des jeunes, engagées dans des choix de société qui intègrent respect de la nature et sobriété de vie. De ce partenariat, les chrétiens devront trouver les voies pour promouvoir l’écologie intégrale qui allie sauvegarde de la création, justice sociale et respect de la vie humaine ».
I. Un retour sur les différentes visites et manifestations du 11 mai au 13 novembre 2021
Les rencontres ont été préparées par une équipe de personnes engagées dans le domaine de la solidarité sous la responsabilité du Père Christophe Decherf, vicaire général. Le choix s’est porté sur des institutions très diverses, dépassant largement le cadre de l’Eglise.
Ferme urbaine de Dutemple le 11 mai
Des hommes et des femmes, au chômage depuis longtemps, trouvent l'occasion de suivre une formation professionnelle en agriculture biologique, complémentaire à leurs savoir-faire trop souvent ignorés et peu valorisés : une action d'une réelle valeur évangélique qui rejoint l'appel du pape François dans Laudato si'.
Récollection Fratelli tutti jour de l’Ascension 13 mai
« Nous sommes tous des frères … » C’est avec ce chant de la chorale des P’tits bonheurs que s’est vécue cette belle journée et chacun y a joué sa partition de colibri en rejoignant différents ateliers ou propositions bibliques. « J’ai pu déposer ma colère et ma révolte … entendre des témoignages, des mots, les paroles des autres « acteurs chrétiens ». Ça m’a réconforté dans ma foi mise en doute ».
Conseil citoyen à Beuvrages. Baptisés engagés dans la cité le 26 mai
Bonheur des rencontres intergénérationnelles, notamment entre des personnes qui ne se connaissaient pas, une citoyenneté festive. « Vous êtes un coeur qui écoute » dit le maire Mr Ali Benyaha aux religieuses et paroissiens.
CCFD et Enseignement catholique à école Ste Marie Valenciennes le 1er juin
Poser ensemble un geste de paix pour dire que nous voulons être des adultes et des enfants de paix : " Maintenant, c'est chacun pour tous !"
Midi partage, maraudes et 115 Valenciennes le 3 juin
750 sdf ou familles y ont une boîte aux lettres, repas, douches, accompagnement etc. « Je médite souvent Matthieu 25, et je vous dis vous êtes des figures de Jésus » le président Jean-François. Une infirmière témoigne « Puisqu’on se connaît avec les personnes rejointes lors des maraudes je n’ai jamais peur d’elles ; j’ai moins peur avec elles que quand je marche dans une ville ».
JRS/SNC à la Maison du diocèse le 12 juin
C'est grâce à un travail en réseau que ces associations trouvent des solutions : croyants ou non croyants, tous sont engagés dans l'accueil de l'étranger : "Chrétiens, nous sommes là pour servir les liens humains et notre partenariat doit pouvoir mobiliser » ; « l'accueil du frère, dans la tradition biblique, doit être spontané, personnel, universel. Cette attitude fondamentale n’est pas négociable" a rappelé Mgr Dollmann.
Entreprises d’insertion ETHAP, Form Insert, Jardins de Cocagne, Epicerie solidaire et CEAS Douai à Guesnain le 23 juin
« Avec des personnes qui étaient éloignées de l’emploi on ne va pas toujours jusqu’au bout, mais ce sont des belles histoires qui restent » un éducateur. Ceux qui créent de l’emploi se connaissent et travaillent en réseau.
Aumôneries de prison à Raismes le 23 juin
Les équipes d'aumônerie de prison ont le souci permanent de faire Église entre le monde de l'enfermement, que l'on oublie, et l'extérieur, en particulier les communautés paroissiales.
Réalités étudiantes à l’université de Valenciennes INSA, les cordées de la réussite, Epicerie solidaire pour les étudiants et l’aumônerie le 24 juin
A partir du suicide de Enzo des mobilisations étudiants / enseignants pour que personne ne soit seul et que chacun puisse réussir.
Accueil familial de vacances avec le Secours catholique Le Quesnoy le 23 juillet
Des enfants et jeunes sont fiers de pouvoir dire comme les autres « je suis parti en vacances ». Des colonies apprenantes parce que « Développer la dimension de la culture tout le monde y gagne ».
Terre de sens. Refaire vivre la ferme. Journées familiales Bermeries le 27 août
« Des idées de génie chez des jeunes qui font vivre une gouvernance partagée ». Le scoutisme a inspiré plusieurs responsables de Terre de sens, ainsi que d’avoir été « voir ailleurs » pour revenir avec de l’énergie qui refait vivre le territoire et les richesses rurales.
Maison d’enfant, logement et travail d’insertion ARPE et ARIL à Cambrai le 31 août
Redonner une dignité aux gens, cela nécessite un gros investissement d’équipes éducatives et techniques. Des professionnels reconnaissent l’apport de la pensée sociale de l’Eglise dans leur engagement.
Solidarité quartier et la chorale Les petits bonheurs Cambrai et La Briquette le 8 septembre
« Le partage de nos vies et de la Parole agit sur chacune de nous au quotidien malgré nos différentes épreuves… ». Pour les membres de la chorale, « chanter c’est comme une drogue, ça rebooste, ça donne la pêche ».
Équipes Saint Vincent à Marly le 21 septembre
" Les équipières s'entre-chériront." disait Saint Vincent de Paul aux premières femmes engagées au service des pauvres. Aujourd'hui, insérées dans leur quartier de la Briquette à Marly, elles sont porteuses de l'amour que Dieu a voulu nous transmettre et elles posent un regard bienveillant sur les familles qu'elles accueillent.
Actions menées par le Secours catholique Vieux-Condé et Cambrai le 22 septembre
« Questions pour un champion » pour découvrir différentes actions. « La relation ne s’arrête pas à l’octroi de l’aide (alimentaire ou financière) ce n’est que le début de la relation ».
Bénédiction après la réfection église et chapelle à Hon Hergies le 25 septembre
Des travaux réalisés, grâce au travail ensemble d’une association de sauvegarde, paroissiens et employés de la commune
L’isolement dans le rural. Réseau « Je vous visite » Landrecies le 12 octobre
Un speed-dating permet à tous de se présenter à trois autres personnes et de partager ainsi nos expériences de l’isolement et la façon dont chacun agit pour les dépasser. Plusieurs associations et institutionnels pour permettre des rencontres entre un binôme de bénévoles et la personne âgée (ou porteuse de handicap) visitée à son domicile pour parler, jouer, rire, lire …
II. Des points d’attention à la suite de la visite pastorale
1. Le service de la charité et de la solidarité
Face à des manifestations d’égoïsme et de rejet parfois violentes dans notre société, nous sommes témoins d’élans de solidarité chez des personnes d’âge et de condition sociale les plus divers. Comme chrétiens, c’est un encouragement à demeurer fidèles au commandement de l’amour que le Christ nous a laissé en testament, à travers nos engagements personnels et communautaires. Les chrétiens qui sont engagés dans les associations laïques témoignent de leur foi par leur fidélité et leur joie de servir tous les hommes et tout homme. Ceux qui participent aux structures caritatives propres à l’Eglise, peuvent témoigner plus explicitement de leur attachement au Christ qui a sauvé le monde par son amour. En témoigner, c’est respecter les personnes aidées qui ont droit de savoir à qui nous appartenons et d’accéder à leur tour à la vie du Christ ressuscité.
J’encourage les chrétiens engagés dans les diverses structures de solidarité à porter le souci des relations personnelles et gratuites quelles que soient les missions et les projets de ces structures et à encourager les habitants à développer des liens de proximité. Au-delà des aides matérielles, les personnes fragiles sont sensibles à la reconnaissance et aux relations humaines.
2. Le service de la charité et la justice sociale
Dans la fidélité au Christ, l’Eglise a toujours compris la charité comme accomplissement de la justice.
La mission de diaconie qui allie charité et justice a comme modèle Jésus le bon samaritain. Elle intègre ainsi les repères d’immédiateté, d’universalité et de gratuité : toute personne au nom de la fraternité humaine doit être respectée, si elle se trouve dans une situation de nécessité, elle doit être aidée d’une manière spontanée et gratuite.
3. Le service de la charité et la prière
Pour l’Eglise, le service fait partie, aux côtés de l’annonce de l’Evangile et de la prière, de la mission que le Christ lui a confiée. Nos institutions qui ont une structure nationale et internationale (Conférence Saint Vincent de Paul, Société Saint Vincent, Secours Catholique, Ordre de Malte, Ordre du Saint Sépulcre…) ou celles qui sont liées à des paroisses, mettent en oeuvre cette mission. La prière et notamment des temps d’écoute de la Parole de Dieu y ont toute leur place. Le contact avec des personnes aidantes ou aidées qui ne sont pas catholiques ne doit pas nous amener à nous taire, bien au contraire, par respect pour elles, nous devons rendre compte de ce qui nous anime.
La prière honore la dimension spirituelle qui est constitutive de chaque personne et elle ouvre les coeurs au souffle de l’Esprit Saint qui éclaire les intelligences et fortifie les coeurs.
A partir de ces oeuvres de solidarité peuvent se constituer des équipes de catéchuménat qui sauront garder le lien entre les personnes et avec les communautés paroissiales bien au-delà du baptême et de la confirmation.
4. Le service de la charité comme un des repères sûrs pour tous nos projets pastoraux
Les projets pastoraux devraient se réfléchir et être mis en lien avec les personnes en précarité. Leur regard peut aider à sortir de la recherche de l’efficacité pour intégrer davantage la gratuité et l’humilité. Ces deux attitudes sont des repères sûrs pour demeurer fidèles à l’Evangile du Christ.
Si nous ne pouvons pas toujours intégrer des personnes pauvres ou fragiles dans nos structures et nos groupes, nous pouvons créer des lieux où elles puissent également se retrouver ou au moins chercher à connaître et à intégrer leur avis.
Nous avions affirmé à la suite du Synode des jeunes en 2018, qu’il ne faudrait pas entreprendre de projets sans un lien avec eux. A la fin de ma visite pastorale, j’aimerais donner comme fil conducteur de nos engagements et projets : Rien sans les jeunes, rien sans les personnes en précarité.
III. Réalisations concrètes
1. Une structure diocésaine : le réseau Fratelli Tutti (Pape François, encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale Fratelli Tutti, 3 octobre 2020)
Le réseau Fratelli Tutti à la suite du Réseau Laudato Si pour la sauvegarde de la création, sera lancé au niveau diocésain et remplacera le Conseil diocésain de la solidarité. Il sera composé de cinq à dix personnes appelées par l’archevêque sur proposition des membres du Conseil épiscopal, pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois.
Le Réseau Fratelli Tutti veillera au lien entre les personnes et les instances engagées dans le domaine de la solidarité et de la charité. Il participera au discernement en vue des décisions qu’aura à prendre l’évêque.
Il veillera à la mise en oeuvre des propositions pastorales pour les journées dédiées à la solidarité, notamment pour la journée mondiale des pauvres établie par le Pape François au 33ème dimanche du Temps Ordinaire.
Il initiera chaque année un projet de formation ou d’action mettant en oeuvre la doctrine sociale de l’Eglise.
Les deux Réseaux Fratelli Tutti et Laudato Si auront à coeur de travailler en collaboration, à travers l’harmonisation de leurs calendriers et l’articulation de leurs projets.
2. Porter le souci de la diaconie au niveau des paroisses
Dans chaque Equipe d’Animation de la Paroisse, un membre devrait veiller aux liens entre les personnes et les structures au service des personnes pauvres ou fragiles. Il aura également à coeur de susciter l’une ou l’autre initiative de solidarité. Il pourra éventuellement solliciter le soutien d’un diacre et s’appuyer sur l’équipe diocésaine Fratelli Tutti.
3. Soutenir les équipes solidarité quartiers au niveau des paroisses
Elles offrent à des personnes en situation de précarité de s’entraider, d’approcher et d’approfondir la foi au Christ et de participer à la vie ecclésiale. Après le temps de la pandémie qui a fait de nombreuses victimes dans les familles pauvres, il est temps de relancer et de susciter de nouvelles équipes. A côté des communautés religieuses et des diacres qui accompagnent ces initiatives, les paroisses et doyennés ont à contribuer à un nouvel élan dans la création d’équipes solidarité quartiers.
En Conclusion
A la fin de la visite pastorale aux acteurs de la solidarité, je fais mienne la conclusion du Message du Pape pour la Journée mondiale des pauvres : « Les pauvres sont au milieu de nous. Comme ce serait évangélique si nous pouvions dire en toute vérité : nous sommes pauvres, nous aussi, et c’est seulement de cette manière que nous réussissons à les reconnaître réellement et les rendre partie intégrante de notre vie et instrument de salut ».
Lors des rencontres durant la visite m’a été rappelé le témoignage de Blaise Pascal qui souligne la réalité spirituelle quasi sacramentelle de la rencontre du pauvre. A l’approche de sa mort le 19 août 1662, ne pouvant plus prendre l’eucharistie comme viatique, il demanda à son entourage : « Faites entrer dans ma chambre un pauvre de la rue. Ainsi, puisque je ne peux pas communier avec la Tête, je pourrai communier avec un membre de son Corps ».
+ Vincent Dollmann
Archevêque de Cambrai
Annexe
Encouragements et suggestions de la part d’étudiants en mars 2021 au début de la visite pastorale
« Pour aider chaque communauté/groupe à lister les défis et ses besoins, il pourrait y avoir une boîte de suggestions, pour que chaque paroissien ou membre de la communauté/groupe/mouvement puisse faire une suggestion ».
« Un autre point important selon moi est de savoir quelles activités les communautés ont arrêtées, quels mouvements n’existent plus et pourquoi. Comment faire pour les reprendre, si c’est vraiment intéressant de les reprendre ».
« A mon avis, il faut rester souple et toujours innover, surtout pendant cette crise sanitaire où les réseaux sociaux et les outils numériques sont des outils incontournables, même dans l’Eglise. Ce n’est pas par hasard que nous avons eu le bienheureux Carlos Acutis, qui a évangélisé sur internet et qu’il ait pu nous aider, même pendant cette transition numérique à entretenir quand même la flamme de la chaleur du contact humain et d’échange. Pourquoi ne pas demander aux jeunes d’apprendre aux plus âgés à maîtriser les outils technologiques ? Pourquoi ne pas laisser un jeune aider dans la communication des paroisses/mouvement/groupes, il peut conseiller un groupe de personnes âgées. Aujourd’hui, ma grand-mère utilise plus whatsapp que moi ».
« Magnifique mission que la diaconie et quelle belle initiative d’avoir les groupes qui oeuvrent au service de l’autre ».