« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile ». L’étoile s’est manifestée, elle a précédé les mages ; elle n’est pas une idée, une projection de leurs rêves. Elle devient le signe des Écritures qui s’accomplissent. Balaam, un aïeul des mages du temps de l’Exode n’avait-il pas annoncé « qu’un astre issu de Jacob allait devenir chef et manifester sa puissance à tous les peuples » (Nb 24) ?
Le récit de la venue des mages offre un véritable itinéraire spirituel d’écoute de l’Écriture et vient encourager les personnes consacrées à renouveler leur fidélité à la lectio divina telle que les différentes familles spirituelles la prévoient.
A l’arrivée des mages, le roi Hérode est pris de panique. Alors on consulte l’Écriture Sainte. Grâce à l’Écriture, les mages se rendront à Bethléem et reconnaîtront le roi pour lequel ils se sont mis en route. Quant à Hérode et aux scribes dont la mission était d’interpréter les Écritures, ils n’ont pas bougé. Pourquoi cette situation ? Elle traverse les temps voire les cœurs. Pour être à l’écoute de la Parole de Dieu, il ne suffit pas d’être du métier, de connaître la Bible et d’en parler. Il faut apprendre à mettre en œuvre non seulement l’intelligence, mais également le cœur. Au delà de la connaissance, ce qui est en jeu dans l’écoute des Écritures, c’est la rencontre avec le Seigneur. D’où l’importance d’entrer en contact avec l’Écriture pour se laisser éclairer et convertir par le Seigneur.
Le cheminement des mages à l’écoute de l’Écriture indique trois aspects de la conversion.
L’Écriture vient d’abord humaniser le cœur de l’homme. Déjà, l’attitude d’écoute rappelle que l’homme est un être de relation. L’enfant a besoin d’entrer dans le réseau des relations qui vont le faire vivre. Il le fait par l’écoute : l’écoute pour reconnaître la voix de ses parents et de tous ceux qui vont l’accompagner sur le chemin de la vie, l’écoute pour apprendre la langue maternelle, la langue de la mère et du père. Par l’écoute, l’enfant devient une personne à part entière, capable d’entrer en relation et de prendre sa place dans la société et l’Eglise. L’écoute révèle également l’homme comme être de désir, en quête de la vie et du bonheur. L’homme de la Bible tourne ainsi son cœur vers Dieu qui seul peut le combler. Aujourd’hui encore, le Juif prononce chaque jour la prière du « Shema Israël, Ecoute Israël » pour se pénétrer de la volonté de son Dieu. Jésus lui-même la priait comme l’évoque le passage de l’évangile où un scribe pose la question du premier de tous les commandements (Mc 12). D’ailleurs par l’expérience, nous pouvons découvrir combien le contact avec les Saintes Écritures donne accès à une paix profonde que nulle autre lecture ne peut offrir. Elle seule nourrit véritablement notre intelligence et notre cœur et les met en harmonie. Cette prise de conscience a mis en route le cheminement spirituel de saint Ignace de Loyola. Soldat, il fut gravement blessé, et durant sa convalescence, il s’adonna à la lecture de romans de chevalerie, les ayant épuisés, il lisait alors une Vie du Christ qui lui a fait découvrir une paix et une joie bien loin des quelques consolations et plaisirs passagers que pouvaient lui fournir les autres livres.
Si la lecture priante de l’Écriture peut humaniser le cœur de l’homme, elle peut également le sanctifier. Là encore par l’expérience, nous savons que l’écoute d’une parole, quelle qu’elle soit, ne laisse jamais indifférent. Celle-ci nous touche, nous travaille parfois même inconsciemment, ravivant des sentiments ou des blessures enfouis en nous. Si cette parole vient de Dieu, combien plus peut-elle nous toucher et communiquer quelque chose de Lui.
L’Écriture est dite sainte, ce qui signifie que nous la reconnaissons inspirée de l’Esprit-Saint. Il est la Présence vivante de Dieu, il est « Dieu qui se communique ». En ouvrant les Écritures, nous nous mettons ainsi en présence de l’Esprit de Dieu. La lecture de la Bible est davantage qu’une lecture ordinaire, de détente ou d’érudition. Elle est accessible à tous, parce qu’elle n’offre pas que des connaissances, mais une rencontre, celle du Verbe de Dieu, le Christ présent par l’Esprit-Saint. C’est bien l’expérience des mages : leur écoute des Écritures les a conduits vers l’Enfant-Dieu, rencontre qui selon l’Évangile, les a remplis d’une « très grande joie » ; ce fut la joie dans l’Esprit-Saint.
Chemin d’humanisation et de sanctification, l’écoute des Écritures dispose les cœurs au témoignage. L’évangile indique que les mages « prirent une autre route pour rentrer dans leur pays ». Ils veulent éviter que l’Enfant Jésus ne tombe entre les mains meurtrières du roi Hérode. Mais la symbolique de la route renvoie également au cheminement intérieur des mages. En prenant un autre chemin pour rentrer chez eux, ils manifestent la teneur de la rencontre avec le Christ. Leur vie a été bousculée et transformée. Et cette rencontre du Christ éclairée et guidée par les Écritures allait faire d’eux ses témoins dans leur pays, leur lieu d’insertion et de vie. Ils allaient précéder en quelque sorte saint Paul l’apôtre des nations païennes qui ne cessera d’affirmer : « Malheur à moi, si je n’annonce pas l’Évangile » païennes (1Co 9).
En nous mettant en présence de Dieu qui veut entrer en communication avec nous, l’Écriture nous rend plus conscients de la volonté divine et plus disponibles à sa mise en œuvre. Comme disciples du Christ comment voudrions-nous témoigner de son Évangile du Christ, sans l’avoir médité et prié ? Aucune pédagogie, aucune technique de communication ne peut faire l’économie de la fréquentation des Écritures. Celle-ci est vitale aux personnes consacrées pour maintenir « une sorte d’instinct surnaturel qui leur permet de ne pas se conformer à la mentalité du monde » selon l’Exhortation vita consecarta du Pape Jean-Paul II (n. 94).
Puissent les mages nous aider à renouveler notre attachement aux Saintes Écritures comme source de lumière et de force pour nos missions et nos responsabilités.
X Vincent Dollmann
Archevêque de Cambrai