« Tu es le Christ » (Mc 8,29). Tout est dit. Pierre manifeste son attachement à Jésus qu’il reconnaît comme le Sauveur. Cette profession de foi, Pierre la fait au nom des apôtres et de toute l’Eglise. Elle marque un sommet indépassable de l’Histoire. Quelles que soient les cultures, le Christ est devenu le repère de l’Histoire. Dans notre propre pays jamais à l’abri d’un laïcisme combattant, on continue à situer les périodes en fonction du Christ. Le Christ est la clef de l’Histoire. Avec lui, toute l’Histoire et chacune de nos histoires sont éclairées par la lumière de l’espérance. Avec lui, l’Histoire n’est pas un cercle vicieux où se succèdent guerres et paix, oppressions et révoltes. L’Histoire n’est pas le lieu d’un éternel retour des choses, nous ne sommes pas destinés à une suite de réincarnations, car chaque être est unique.
Mais l’Histoire n’est pas non plus une ligne droite où le progrès matériel assurerait toujours plus de bonheur ; les tensions sociales et l’insécurité dans notre pays ne seront pas réglées par la seule relance de la consommation. L’homme au plus profond de lui-même ne peut se satisfaire d’un gavage matériel, il a besoin d’aimer et d’être aimé.
Malgré les déterminismes auxquels nous pouvons être soumis, nous gardons notre liberté de réagir et de suivre l’Evangile du Christ. Par sa vie tournée vers Dieu son Père, il nous a frayé un chemin vers la Vie de Dieu par-delà tous les obstacles de la haine et de la mort. Avec lui, l’Histoire de l’humanité et de chaque personne va de commencement en commencement et elle nous prépare à ce Commencement éternel qui est la Vie en Lui, la vie éternelle.
Si avec le Christ, l’Histoire humaine est orientée vers la lumière divine, elle n’enlève rien à notre responsabilité, bien au contraire. Après la profession de foi de Pierre, Jésus enseigne qu’il aura à souffrir beaucoup, qu’il sera rejeté par les autorités humaines et qu’il sera tué. Il révèle par là qu’il sauve le monde par la croix, en prenant sur lui le mal et la mort. Avec le Christ, la logique humaine est appelée à s’ouvrir à la logique de Dieu, la course à l’avoir et au pouvoir est appelée à prendre le chemin de la croix. La croix manifeste que Dieu sauve le monde par la seule puissance de son amour. C’est ainsi que pour guérir le cœur de Pierre qui a été pris au piège de la peur et qui a renié, Jésus ressuscité va l’inviter à se relever en accueillant son amour : « Pierre, m’aimes-tu ? » (Jn 21,15). Disposé à s’appuyer sur l’amour du Christ, Pierre pourra prendre la charge de son Eglise jusqu’au don de sa propre vie, par amour.
Notre profession de foi est un engagement à entrer dans la logique de la croix, celle de l’amour dans toutes les situations que nous avons à vivre, jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême, comme le Christ. La profession de foi que nous proclamons si facilement aux jours de fêtes, nous renvoie en réalité au quotidien. Elle nous incite à vivre et à décider sous le regard et dans l’esprit du Christ. Saint Jacques, dans la deuxième lecture de ce jour, se fait très clair : « la foi si elle n’est pas mise en œuvre est bien morte » (Jc 2,7).
En 1008, quand les Valenciennois, réunis avec les autorités civiles et religieuses, veillaient pour implorer la fin de l’épidémie de peste, ils virent la Vierge Marie tenant un cordon rouge dans ses mains. Ce cordon rouge renvoyait à la croix de Jésus le Fils de Dieu qui a versé son sang pour rétablir, par-delà le mal et la mort, l’alliance définitive entre Dieu et l’humanité.
Ce miracle, il y a 1013 ans, peut se renouveler. Le Christ offre un commencement toujours nouveau par son amour qui attire vers le Ciel et Marie ne cesse de nous présenter le cordon qui relie ciel et terre. Elle-même, à aucun moment de sa vie terrestre, n’a sombré dans le désespoir. Suivant son Fils, elle a su s’appuyer sur sa parole et sa présence pour traverser toutes les épreuves. Debout au pied de la croix, son regard percevait déjà la lueur du matin de Pâques. Aujourd’hui, debout dans la Gloire de Dieu, elle soutient notre pèlerinage sur cette terre. Avec saint Pierre nous pouvons affirmer : « Tu es le Christ », et ajouter : « Tu règnes sur le monde par ta sainte croix, tu nous sauves par la puissance de ton amour ».
Mgr Vincent Dollmann
Archevêque de Cambrai