Meditations : Nuit des témoins, lundi 24 janvier 2022 en la cathédrale de Cambrai

INTRODUCTION

Cette année, la Fondation catholique Aide à l’Eglise en Détresse a bien voulu organiser la veillée de prière pour les martyrs de notre temps en la Cathédrale de Cambrai. C’est une occasion pour vivre concrètement notre lien à l’Eglise universelle. Nous avons la joie d’accueillir non seulement les responsables de l’AED, mais également Sœur Haguinta, témoin des chrétiens persécutés en Arménie.

La veillée nous donnera également d’expérimenter la grâce de la communion de prière. Elle fortifie la foi et la charité de toute l’Eglise afin qu’à travers elle, le Christ ne cesse d’offrir le pardon et la vie de Dieu au monde.

Cette veillée de prière permettra de renouveler notre propre mission de témoignage au Christ. Quand Jésus parle de cette mission à ses disciples la veille de sa mort, il utilise le terme « martyre » qui désigne un engagement total et sans limites (Jn 15,27).  Être disciple du Christ n’est pas de l’ordre d’une adhésion plus ou moins forte à un ensemble de valeurs ou une participation plus ou moins ponctuelle à des actions caritatives et culturelles. Il s’agit, ni plus, ni moins d’un choix radical et définitif du Christ.

L’appel du Christ au martyre et à ses différentes formes, n’est possible que par l’Esprit-Saint. Jésus le nomme d’ailleurs le « Paraclet ». Ce terme est traduit habituellement par « défenseur » pour évoquer sa mission de défense des croyants contre toute forme de mal, que ce soit l’égarement dans la foi ou le rejet du bien. Mais « paraclet » signifie également « consolateur », Cette traduction souligne l’œuvre de l’Esprit-Saint qui nous garde en union profonde avec le Christ et dans le désir d’une vie de foi et de charité.

La Nuit des témoins est placée en cette Cathédrale sous le regard de la Vierge Marie, vénérée sous le vocable Notre Dame de Grâce. Elle, qui a conçu le Christ dans sa virginité, qui l’a suivi lors de son ministère public et qui s’est unie à sa souffrance sur la Croix, a connu tous les aspects du martyre chrétien. Elle est assurément celle qui peut nous soutenir le mieux dans notre mission de témoins du Christ.

 

Chrétiens, martyrs de la foi

Par le baptême, nous devenons chrétiens, c’est à dire disciples du Christ, bien plus, nous devenons d’autres Christ, car le baptême nous établit dans une relation unique au Christ, nous greffe sur sa vie. En utilisant l’image de la vigne, Jésus affirmait que nous sommes les sarments et qu’il est le cep (cf Jn 15). Parler de la mission du baptisé, c’est d’abord interroger cette relation au Christ, c’est poser la question de la foi. Il nous faut découvrir d’une manière toujours nouvelle la joie de croire.

Croire pour le Chrétien, c’est croire que Jésus est bien le Fils de Dieu.

Quand saint Paul veut affermir la foi de la jeune communauté de Corinthe, il écrit : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort, pour nos péchés selon les Ecritures, qu’il a été enseveli, qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures, qu’il est apparu à Képhas, puis aux Douze » (1Co15).

Proclamer que le Christ est mort et ressuscité, et qu’il est le Seigneur, c’est pour les premiers Chrétiens dire toute leur foi. D’ailleurs, quand ils le proclamaient devant les Juifs, ils étaient accusés de blasphème et risquaient la lapidation comme saint Etienne, le premier martyr. Quand ils annonçaient aux païens que Jésus est Seigneur, ils étaient accusés de conspiration contre l’empereur qui était acclamé comme seigneur, comme l’égal de Dieu. Là encore, ils risquaient la mort, la croix comme pour saint Pierre ou le glaive comme pour saint Paul.

La formule de foi de la lettre aux Corinthiens semble être construite pour être apprise par cœur, comme une prière. Saint Paul dit qu’il l’a lui-même reçue. Il fait sans doute allusion à la célébration de son baptême à Damas en l’an 35, ce qui nous situe à deux trois ans de la mort de Jésus !

Les deux textes, le Symbole des apôtres et celui de Nicée-Constantinople, sont des développements de cette première profession de foi baptismale et nous relient ainsi aux tout premiers Chrétiens qui la reprenaient quotidiennement en mémoire de leur baptême.

Si nous avons à apprendre à rendre compte du contenu de notre foi, celle-ci ne se limite pas à un contenu, mais elle est un élan du cœur pour entrer en relation personnelle avec le Christ. Ainsi dans l’Exhortation La joie de l’Evangile le Pape François invite à « permettre à la joie de la foi de commencer à s’éveiller, comme une confiance secrète mais ferme, même au milieu des pires soucis » (n. 6).

Cette foi est un vrai trésor, le bien le plus précieux qu’un homme peut recevoir. A Lourdes, dans le sentier qui monte sur le versant de la Grotte, se trouve une statue érigée par une dame qui a retrouvé la foi durant un pèlerinage. Sur le monument, on peut lire cette phrase : « Retrouver la lumière de la foi vaut bien plus que retrouver la lumière du jour ».

Au printemps dernier, eu lieu à l’abbaye de Casamari la béatification de plusieurs moines dont Siméon Cardon, originaire de Cambrai. En 1799, des soldats français se retirant de Naples saccagèrent des églises et des monastères. Le Bienheureux Siméon et ses compagnons, leur ont résisté jusqu’à la mort pour défendre l’Eucharistie de la profanation.

Avec ces Bienheureux martyrs, demandons à la Vierge Marie la grâce de la fidélité à la foi au Christ. Alors que le vendredi saint, le ciel et les cœurs se sont obscurcis, Marie est restée debout près de la croix de son fils, tournée déjà vers le matin de Pâques. Trait d’union entre la nuit de la souffrance et le jour de la résurrection, entre le vendredi-saint et le dimanche de Pâques, Marie peut être vénérée comme Notre-Dame de la foi.

 

Chrétiens, martyrs de l’espérance

Devant le tombeau de son ami Lazare, Jésus affirmera à Marthe, la sœur du défunt : « Je suis la Résurrection et la Vie » (Cf Jn 1, 1-54). Cette parole n’a rien d’une réponse rassurante face à la douleur d’une séparation, à l’image de nos propos humains qui n’apportent qu’une faible consolation : « courage », « On ne vous laissera pas tomber ».

Cette Parole nous tourne résolument vers le Christ qui a pris le chemin des hommes, en partageant notre condition humaine jusque dans la souffrance et la mort. Il a connu nos sentiments de tristesse et de peur face à la mort. N’a-t-il pas versé des larmes devant la tombe de Lazare ? N’a-t-il pas crié sa peur au seuil de sa propre mort ?

Mais, contrairement aux hommes, il n’a pas sombré dans le désespoir. Sa passion et sa mort, il les a vécues à l’image de toute sa vie : sous le regard de Dieu son Père.

Bien plus, il est allé à la mort librement pour nous, pour nous frayer un chemin vers la Vie éternelle, vers la Vie de Dieu. En se rendant à Béthanie, Jésus dira d’ailleurs à ses apôtres : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyez ! ». Jésus vivait dans la certitude que son Père allait exaucer sa prière et manifester qu’il est le Dieu des vivants. Ainsi, devant le tombeau de Lazare, avant même que celui-ci n’en sorte vivant, Jésus n’hésitera pas à prier : « Père, je te rends grâce de m’avoir écouté ». C’est dans cette confiance filiale, que Jésus affrontera également sa propre mort, pour nous, pour que nous ayons la vie.

Face à la mort de leur frère, Marthe et Marie crient leur trouble et leur douleur et n’hésitent pas à faire des reproches à Jésus : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Mais Jésus les invite à un dépassement, il les appelle à croire qu’en lui la fin des temps est inaugurée, celle où Dieu vient rétablir la communion de vie avec lui. Le retour à la vie terrestre de Lazare en sera un signe éclatant pour elles et pour tous les témoins. En revenant à la vie terrestre, Lazare devait à nouveau un jour passer par la mort, mais sa résurrection est le signe d’un don bien plus grand, celle de la Vie de communion avec Dieu, dont la vie terrestre n’est que le prélude.

Ainsi le vrai miracle n’est pas tant le retour à la vie de Lazare que la participation dès maintenant à la vie de ressuscité, celle dans laquelle Lazare, mais aussi Marthe et Marie auront pu entrer au matin de Pâques. 

Avec le Christ, le tombeau est resté définitivement vide. Mort et ressuscité, porteur de l’Esprit de Dieu, il peut donner part à la vie nouvelle. Et nous la recevons gratuitement, sans mérite de notre part, à notre baptême.

A Cambrai, nous vénérons Joseph Engling comme martyr de l’espérance. Il était séminariste allemand quand il fut enrôlé dans l’armée. Il est mort en octobre 1918 aux portes de Cambrai. La spiritualité mariale de Schoenstatt lui avait permis d’articuler force et humilité. C’est ainsi qu’il avait entendu l’appel à offrir sa vie pour que le Règne de Dieu puisse advenir au cœur de l’enfer de la guerre et de la haine entre les peuples.

Comme pour Joseph Engling, la Vierge Marie soutient notre espérance. D’ailleurs avec elle, l’Eglise prie chaque jour aux vêpres le chant du Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur… Le Puissant fit pour moi des merveilles… Il élève les humbles ».

Demandons à la Vierge Marie, élevée corps et âme dans le ciel, de devenir des martyrs de l’espérance.

 

Chrétiens, martyrs de la charité

A côté du martyre ‘rouge’, le témoignage jusqu’au don de sa vie et du martyre ‘blanc’, l’engagement dans la vie consacrée, il y a le martyre ‘vert’, celui du temps ordinaire. Il s’agit de la fidélité à nos devoirs d’état et à nos missions dans l’esprit de charité du Christ. Or pour beaucoup aujourd’hui, l’ordinaire signifie routine voire ennui. Pourtant, c’est bien là que le Christ nous rejoint, comme il l’a fait il y a 2000 ans. C’est dans cette capacité à vivre l’instant présent que nous pourrons accueillir les signes de la présence du Christ et en témoigner : ce sont souvent des personnes malades ou âgées qui ont été pour nous des modèles de foi et de charité et qui nous encouragent à suivre humblement et concrètement le Christ ?

La charité du chrétien se traduit ainsi par des actes concrets dans le présent. Il s’agit de nous donner à ce que nous faisons, en d’autres termes : donner, n’est pas promettre. Le don de soi est la mise en œuvre concrète de notre vocation à la sainteté. Sainte Thérèse rappelle en effet : « Dieu ne force pas notre volonté, il prend ce que nous Lui donnons. Mais il ne se donne pas complètement tant que nous ne sommes pas donnés à Lui d’une manière absolue » (Chem. Perf 30).

Admirateur de Jean-Paul II, je garderai le souvenir de sa ténacité à vivre son ministère jusqu’au bout. J’ai été récemment bouleversé par le témoignage d’un de ses collaborateurs. Le dernier mercredi avant sa mort, le Pape s’était montré à la fenêtre de ses appartements. Il n’a pas réussi à dire une parole, il a seulement tracé avec sa main un signe de Croix qui fut son testament, son salut au monde auquel il a porté l’amour de Dieu en Jésus. Malgré son entrée en agonie, le Pape a su braver la réticence de ceux qui l’assistaient pour poursuivre sa mission.

Parmi les figures de charité de notre diocèse, nous avons Louise Nicolle issue d’une famille aisée de la ville de Saint-Amand. Dans le contexte de l’industrialisation au 19ème siècle, cette jeune femme malgré ses soucis de santé, a consacré sa vie pour l’éducation humaine et religieuse des jeunes filles pauvres de la Cité.

Comme pour Louise Nicolle, la Vierge Marie est la meilleure éducatrice pour demeurer fidèle à la charité du Christ dans nos engagements quotidiens. Aux noces de Cana, elle a manifesté une délicatesse extraordinaire à l’égard des personnes. Elle a su repérer à temps ce qui pouvait interrompre la fête. Elle est sensible au besoin de fraternité des hommes. Le vin en effet était réservé aux grandes occasions et était ainsi le signe par excellence de la joie et de la fraternité.

Demandons-lui de vivre nos engagements et nos missions dans la fidélité à Dieu et dans l’attention fraternelle au prochain.

 

 

 

Article publié par Service communication • Publié le Mercredi 26 janvier 2022 • 642 visites

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