Le chrétien est aussi un citoyen du monde

Intervention de Mgr Dollmann lors d'un séminaire en visio-conférence de l'Union Mondiale des Enseignants Catholiques (UMEC)

Introduction : le chrétien est aussi un citoyen du monde

Je m’appuierais volontiers sur l’évangile de saint Marc, l’évangile de l’année liturgique en cours. Dès l’introduction, saint Marc souligne l’identité de Jésus comme « Fils de Dieu » (Mc 1,1), et il poursuit par le récit du baptême de Jésus. Celui-ci annonce le nôtre et indique sa signification profonde : par le baptême, nous devenons ’chrétiens’, fils dans le Fils, enfants de Dieu. Ce que chaque homme est par son lien au Dieu Créateur, le baptisé le reçoit d’une manière concrète et définitive. C’est de cette identité que chaque baptisé doit pouvoir vivre et témoigner dans tous les domaines de sa vie.

Cette identité entraine une orientation de vie qui peut susciter des tensions avec d’autres options religieuses ou philosophiques. La lettre à Diognète, au 2ème siècle, évoque avec justesse cette condition du chrétien dans la société : « Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire. Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. (nn. 5-6).

Le défi majeur que le chrétien est amené à relever aujourd’hui, est celui de l’anthropologie, de la vision de l’homme et du respect de la vie humaine. Nous devons prendre la mesure de la distance qui se creuse entre l’approche chrétienne et l’approche sécularisée massivement défendue par l’élite intellectuelle et politique du monde occidental. En même temps, au-delà des débats théoriques, les chrétiens peuvent rendre compte de la fécondité de l’évangile de la vie et de la fraternité par leur engagement à tous les niveaux de la société. La lettre à Diognète exhorte d’ailleurs les chrétiens en affirmant : « Le poste que Dieu leur a fixé est si beau qu’il ne leur est pas permis de le déserter » (n. 6).

  1. Prendre la mesure de la vision anthropologique du message chrétien qui est objet de débat dans la société post-moderne

Le message de l’Evangile est perçu habituellement avec bienveillance en Europe quand il touche le domaine du service du prochain, particulièrement des personnes vulnérables et pauvres. Mais, l’Evangile est contesté aujourd’hui en ce qui concerne le respect de toute personne humaine et à toute étape de sa vie, de sa conception jusqu’au seuil de sa mort. Il y a un véritable débat anthropologique qui met l’Église en tension avec l’approche postmoderne.

Le Conseil Pontifical Justice et Paix a publié en 2005 un manuel de la Doctrine sociale de l’Eglise, le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise. Celui-ci donne les repères anthropologiques de la personne humaine à la lumière de la révélation biblique et l’enseignement de l’Église (Cf. p 70ss). Je relève au moins quatre points :

-L’unité de la personne : celle-ci n’a pas une âme et un corps qui s’opposent, elle est corps et âme.

-L’ouverture à la transcendance et l’unicité de la personne : la transcendance désigne le fait que la personne est capable de s’ouvrir aux autres et à Dieu et l’unicité désigne le fait que chaque personne est unique et irremplaçable.

-La liberté de la personne : elle est liée à notre condition de créature, c’est là sa limite, mais elle est également liée à notre condition d’enfant de Dieu, c’est là sa grandeur.

-La socialité humaine : « Dieu n’a pas créé l’homme comme un être solitaire, mais il l’a voulu comme être social. La vie sociale n’est donc pas extérieure à l’homme ; il ne peut croître et réaliser sa vocation qu’en relation avec les autres » (Congrégation pour la doctrine de la foi, Instr. Libertatis conscientia, 32, 1987).

  1. Apprendre à rendre compte de la fécondité de cette anthropologie par un engagement concret.

La participation des chrétiens à la société a porté des fruits et continue d’en porter, en développant une culture du bien commun, du respect de la personne humaine, ainsi que de la justice sociale animée par la charité.

a) Le sens du bien commun

Le bien commun est avant tout perçu au niveau matériel. Il interroge notre respect du cadre de vie et de la création. Il interroge l’éducation aux vertus humaines pour orienter toutes nos missions et nos actions vers le bien.

Le bien commun concerne également la réalité humaine spirituelle, à savoir le respect des personnes et l’engagement pour la paix qui se traduit par l’attention à la fraternité universelle dans le magistère récent du Pape François.

b) Le sens de la personne

Dans l’évangile de Luc, lorsque Jésus enseigne que l’amour de Dieu et du prochain sont les deux commandements qui résument toute la Loi, un scribe lui demande : « qui est mon prochain ? » (Lc 10,29).  Jésus répond par la parabole du bon Samaritain en transformant la question : « de qui me suis-je fait le prochain ? » (Lc 10,29-37). A une question d’école pour définir les critères de celui qui peut être considéré comme le prochain, Jésus répond par un appel à devenir le prochain de l’autre et de tous les autres. Il nous invite à éveiller nos consciences à l’engagement pour une civilisation de la vie où chacun, jeune et adulte, malade et bien-portant, enfant à naître et personne en fin de vie, soit respecté comme personne et comme membre de la communauté humaine.

 

c) Le sens de la charité liée à la justice

Enracinés dans l’amour qui vient de Dieu, les chrétiens cherchent à travailler à un monde plus juste. Bien sûr, nous connaissons la position marxiste qui oppose justice et charité, considérant que cette dernière ne va pas à la racine de l’injustice et de la pauvreté, mais qu’elle entretient plutôt les situations d’exploitation et d’inégalités.

Or pour les chrétiens, c’est bien la charité qui perfectionne la justice, qui la rend plus respectueuse des personnes et qui la maintient dans sa finalité, à savoir : ‘donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû’, comme l’enseigne le catéchisme.

Une objection moins radicale, mais plus prégnante aujourd’hui vient du matérialisme ambiant qui pense que les structures sociales et juridiques rendraient superflues les œuvres de charité. Dans son Encyclique Dieu est amour, le Pape Benoît XVI répond en renvoyant à l’expérience humaine : « L’amour caritas sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste. Il n’y a aucun ordre juste de l’État qui puisse rendre superflu le service de l’amour.  Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude » (n.28).

La mission de diaconie que le Christ a confiée à son Église, articule justice et charité. A la lumière de la parabole du bon Samaritain, le service du prochain doit pouvoir répondre aux nécessités immédiates sans acception des personnes et sans instrumentaliser le lien d’aide. Il intègre concrètement les repères d’immédiateté, d’universalité et de gratuité.

 Conclusion : le chrétien est citoyen du ciel

La Lettre à Diognète caractérise ainsi la situation des chrétiens : « Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel » (n.6). Le chrétien a reçu cette citoyenneté par le baptême, mais il est chargé de la révéler à tout homme. Elle le préserve de deux excès : la fuite du monde ou l’emprise sur lui. Elle permet au contraire de nous engager au service du respect de la personne et de la justice avec une vraie liberté et audace.

 

La citoyenneté du ciel suscite une dynamique d’espérance. D’ailleurs, le Livre de l’Apocalypse décrit la réalité paradisiaque au bout de l’Histoire non pas comme un jardin, mais comme une cité. Il parle de la Jérusalem nouvelle. Dieu prépare à l’humanité une ville qui est le paradis des origines, transfiguré avec l’apport de la vie de charité et de foi des hommes. Dans le don de la vie éternelle, nous avons notre part de responsabilité et d’engagement. Dieu purifie et transfigure ce que nous avons cherché à bâtir sur cette terre dans l’Esprit de charité du Christ.

 

+ Vincent Dollmann

Archevêque de Cambrai

 

Mgr Dollmann est intervenu lors du séminaire de l'UMEC : Union Mondiale  des Enseignants Catholiques, sur l'Éducation à la Citoyenneté, du 2 et 3 février 2021

Intervenants :

Président M. Guy Bourdeaud’hui 

Prof. Dr. John Lydon : St. Mary’s University, London, UK

Prof. Dr. John James, St Louis University-US

Dr. Elizabeth. Boddens-Hosang, Identity Advisor at St. Confessioneel Onderwijs Leiden-NL

Prof. Dr. Leonardo Franchi, University of Glasgow-UK

Dr. Caroline Healy, St Mary’s University, London-UK

Prof. Dr. Michael Anthony C. Vasco, PhD, Dean of Graduate School, Santo Tomas University

Philippines : « Education for citizenship : A philosophical perspective »

Prof. Adrian Podar, High School Bucharest -Romania « Education for citizenship : A pedagogical perspective »

Msg. Vincent Dollmann, Archbishop of Cambrai, A.E. UMEC-WUCT

Article publié par Service communication • Publié le Vendredi 05 février 2021 • 396 visites

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